La famine, un tsunami annoncé
Niger
Le pays s’enfonce depuis des mois dans la famine, l’aide alimentaire
n’arrive toujours pas. Premières victimes : les nomades et les enfants.
On se croirait revenu vingt ans en arrière. A
l’époque de la grande sécheresse. En marge du désert, la grande vallée
de la Tarka qui couvre trois régions au sud du Niger (Tahoua, Maradi et
Zinder), n’est plus qu’une enclave aride, brûlée par un déluge de feu.
Des cadavres d’animaux jonchent le sol. La sécheresse, puis les
criquets qui ont durement éprouvé le Niger l’année dernière n’ont pas
épargné cette zone de parcours et de convergence des troupeaux. Ici,
comme d’un bout à l’autre du Niger, l’herbe manque, l’eau est rare et
la nourriture pour les hommes et le bétail fait cruellement défaut. Le
désespoir pour des milliers et des milliers d’éleveurs dont le sort
dépend de ces animaux maigres qui n’ont plus aucune cote sur les
marchés. Alors que les prix des céréales, eux, s’envolent.
"Pas moins de quatre boucs sont aujourd’hui nécessaires pour acquérir
un sac de mil de cent kilos…", confie un chef de famille incapable de
trouver deux mesures de mil dans tout le village de Chadakori, au nord
de Maradi. L’an dernier, à la même époque, le bouc s’échangeait contre
un sac de mil.
Un déficit fourrager record depuis la grande sécheresse de 1984 menace
les éleveurs et leurs animaux. "Si même les ânes se mettent à mourir,
c’est le signe annonciateur d’une terrible tragédie… Avec son boubou et
son turban noir, ses manières de seigneur et ses airs prophétiques,
Ardo Ousseïni, chef de tribu Kougou, à une trentaine de kilomètres au
nord-est de Dakoro, marque une pause. … parce que l’âne mange tout, y
compris ses propres excréments." "Or, il n’y a plus rien ici. Les
sédentaires ont tout ratissé, jusqu’au plus petit brin de paille. C’est
en vendant cette herbe que beaucoup d’entre eux parviennent à nourrir
encore leurs familles…", soupire-t-il. Les éleveurs qui nomadisent dans
la zone, en sont réduits à tourner en rond, avec leurs maigres
troupeaux, étourdis par la faim.
Des villages désertés
Le manque de nourriture exacerbe l’exode, dépeuple les villages et
frappe les familles. Dans les villages vidés de leurs bras valides, les
vieillards et les enfants sont les premières victimes. On ne voit plus
à présent de gamins curieux courir derrière les véhicules des
étrangers. Les enfants en bas âge présentent des visages de vieillards
et des ventres bombés, signes trop connus de malnutrition sévère. "Il
ne se passe pratiquement pas de jour sans que l’on enregistre au moins
un à deux décès dans presque tous les villages…", rapportent les
passagers d’un taxi-brousse archi-bondé en partance pour le marché
hebdomadaire de Sabon Machi, dans le canton de Kornaka, au nord de
Maradi.
Le long des routes, des files de gens fuient la brousse pour des cieux
plus cléments. Dans les villes du Damergou et le Zarmaganda, deux
régions abonnées aux déficits, respectivement au nord de Zinder et de
Niamey, ce sont d’interminables processions d’enfants aux gestes lents
qui quémandent silencieusement leur droit à la vie. Ils ne jouent même
plus. Autour des carrefours et des marchés, des grappes de femmes
s’agglutinent dans un état d’épuisement et d’abandon total. A Maradi,
les plus chanceuses échouent au Centre de récupération nutritionnelle
intense (Creni), après un parcours de plusieurs jours à travers la
brousse, sans manger ni boire.
Face au très grand nombre d’enfants malnutris, Médecins sans frontières
(MSF) a ouvert, en urgence, quatre antennes dans les départements de
Dakoro et de Keïta, deux des régions les plus durement touchées sur les
23 départements déficitaires du pays. En janvier dernier, une enquête
conduite par l’Unicef et Helen Keller International dans les régions de
Maradi et de Tahoua, estimait déjà à plus de 350 000 le nombre
d’enfants nigériens qui n’auraient droit à aucune prise en charge
alimentaire et médicale.
"Dès le mois d’octobre pourtant, précise d’une voix émue Gian Carlo
Cirri, représentant du Programme alimentaire mondial (PAM) au Niger,
nous avons sonné l’alarme. Car, il y avait des signes qui ne trompaient
pas comme la hausse continue des prix des céréales à la récolte ou la
baisse du prix des petits ruminants..." A la mi-novembre, l’État
nigérien avait lancé un appel à l’aide internationale.
4 millions de Nigériens menacés
Huit mois plus tard, avec le début de la période de soudure, on entre,
selon le PAM, "dans la phase la plus critique". De passage à Genève,
Jan Egeland, le Secrétaire général adjoint aux affaires humanitaires de
l’Onu et coordonnateur des secours d’urgence a qualifié la crise
nigérienne d"urgence humanitaire la plus oubliée et la plus négligée"
(voir son interview dans cet envoi). Selon lui, près du tiers des 12
millions de Nigériens sont menacés par la famine, dont 2,5 millions ont
un besoin urgent d’assistance. Pourtant, les bailleurs de fonds tardent
à réagir.
Le gouvernement nigérien mise sur la "vente à prix modéré" (moitié
prix) de 67 000 tonnes de céréales, un peu plus du quart du déficit
total , aux populations les plus vulnérables d’ici août 2005. Bakari
Seïdou, coordonnateur de la Cellule crises alimentaires (CCA),
s’inquiète de la baisse du stock national de sécurité car on ignore ce
que réserve la prochaine campagne. Avec l’arrivée des premières pluies,
l’herbe commence à pousser. Mais, il y a loin des champs aux greniers.
L’aide de la communauté internationale est plus que jamais urgente.
Mais, estime un diplomate en poste à Niamey, on dirait qu’il y a "une
sorte de lassitude ou de résignation de la communauté internationale
par rapport aux problèmes du Niger", parfois accusé d’avoir la fâcheuse
tendance d’exagérer ses besoins céréaliers. Mais pour Jan Egeland, "150
000 enfants nigériens présentent déjà des signes de malnutrition sévère
et mourront s’ils ne reçoivent pas d’aide". Un bilan digne d’un
tsunami, annoncé, celui-là, de longue date.